10 raisons pour lesquelles les femmes sont particulièrement touchées par le stress

Et si le stress que tu ressens n’était pas totalement normal?

Je ne sais pas pour toi, mais moi j’ai toujours un million de choses à faire et ma liste s’allonge tous les jours. Il y a de tout sur cette liste : les courses à faire, les chaussures à apporter chez le cordonnier, les mails du boulot à écrire, le tricot imaginé à réaliser avant l’hiver 2035 et les vaccins des enfants à contrôler sans parler des réunions diverses et échéances variées. J’en oublie bien souvent une bonne partie et au final je me sens rarement satisfaite.

charge mentale emma
Quand on est enseignante ou cheffe d’établissement, on cumule la charge mentale propre au métier (des corrections aux stages en passant par les horaires, réunions diverses, parents, gestion de classe et trajets) à celle liée au rôle social donné aux femmes. C’est très difficile voire impossible de tout gérer comme une pro. On oublie une échéance de vaccin ou d’appeler les parents du petit de 6ème. Et on se sent débordée et souvent nulle. Stressée.

Imagine…

Après avoir subi comme tous les jours les embouteillages et conduit ton enfant à la crèche, tu arrives à ton établissement où tu as été nommée récemment et où tu dois gérer plusieurs niveaux de classes. Une seule collègue t’aide en te prêtant ses cours. Les autres n’ont pas le temps. Les documents administratifs s’accumulent. Le programme est là, et tu te demandes comment tes élèves vont pouvoir intégrer tout ce qu’il y a à voir. La gestion de classe est intense, surtout avec les 5èmes. Un collègue homme te conseille d’être plus sévère. Une réunion est annoncée pour le lendemain. Tu as été inspectée récemment et bien que le cours se soit bien passé, tu as reçu du feedback uniquement sur ce qui pourrait être amélioré et pas sur ce qui était très bien. Ta journée finie, et enfin arrivée à la maison (bien trop tard à ton goût mais tu as l’impression que les autres pensent que tu rentres trop tôt), tu as ta « double charge »  à gérer (enfants et maison) et tu essaies de jongler tant bien que mal entre tout ça. Ah oui, j’oubliais: tu essaies de penser à toi et tu as réussi à caser un peu de sport le mardi soir…Tu as déjà lu un bouquin sur « comment mieux s’organiser » ou essayé le bullet journal mais ça n’a pas changé grand-chose. Les enfants sont couchés et enfin, tu peux t’atteler aux corrections. Stressée et fatiguée.

J’ai vécu cela moi aussi de même qu’une situation de harcèlement de la part d’un collègue, de violence verbale de la part de certains élèves ainsi que le fait d’être enceinte tout en travaillant en lycée pro en ZEP. 

J’ai réalisé que je partageais ce vécu avec bien des collègues enseignantes et directrices.  

Aujourd’hui coach pour les actrices de l’éducation, j’ai pris du recul et écrit un état des lieux le plus précis possible des raisons pour lesquelles un tel stress est si prégnant dans la vie des enseignants et plus particulièrement des enseignantes. Ceci afin de te montrer qu’il s’agit d’une conséquence d’une réalité avant tout structurelle, sociale et non d’une fragilité individuelle. Mon expérience dans d’autres cultures de ce monde m’a permis de mettre le doigt sur les rouages de cette réalité.

Je m’adresse également aux directrices et cheffes d’établissement qui vivent elles aussi un stress quotidien et usant.

Note: le fait de pointer du doigt cet état de fait ne remet pas en cause les autres injustices qui touchent les hommes. De même que le fait de pointer du doigt la déforestation de l’Amazonie et l’urgence d’arrêter cela n’enlève en rien l’importance des dégâts faits aux autres forêts de notre planète.

 

Mais d’abord, petite définition du stress…

 

Le stress « négatif » est issu de l’addition de multiples agressions quotidiennes de petite ou de moyenne intensité qui, au final, nous font nous sentir impuissantes, comme des objets soumis à des vents contraires de façon permanente. C’est leur accumulation conjuguée à un sentiment d’impuissance (l’impression qu’on ne peut ni fuir ni se battre) qui crée les symptômes du stress. Ces symptômes varient en fonction des personnes et se traduisent sur notre organisme par des problèmes de sommeil, de sexualité, d’alimentation, une fatigue permanente, des idées noires etc. 

 

Quelles sont les raisons concrètes de ce stress ?

 

En voici un florilège, basé sur plusieurs études scientifiques et à partir de ma propre expérience d’enseignante, ainsi que d’après les témoignages d’enseignantes et de directrices d’établissement qui se sont confiées à moi. L’article n’a pas la prétention d’être exhaustif et je le compléterai au fur et à mesure de mes lectures et de mon expérience de coach pour actrices de l’éducation. Vous verrez que certaines de ces raisons s’appliquent autant aux femmes qu’aux hommes avec cependant une plus grande force pour elles.

 

 

1. Une sensibilité accrue aux risques psycho-sociaux élevés du métier

 

Une étude de 2016 demandée par le ministère de l’éducation nationale française affirme que les risques psychosociaux sont significativement plus élevés pour les enseignants que pour les autres cadres avec davantage encore d’impact sur les femmes. Cela se joue aux niveaux de l’intensité du travail, de la complexité du travail et du manque de soutien de la hiérarchie.

Une grande partie des enseignants affirme qu’ils ont à penser à trop de choses à la fois, qu’ils travaillent sous pression, que la quantité de travail à fournir est excessive, qu’ils doivent bien souvent se dépêcher car ils n’ont pas suffisamment de temps et enfin qu’ils pensent à leur travail quand ils n’y sont pas.  Les nombreux changements pas toujours bien expliqués ni explicables font que les enseignants se sentent les jouets d’instances politiques déconnectées de la réalité du métier. Enfin, le contact permanent avec le « public » est un facteur de risque en raison des risques de conflits qui découlent de la multiplication des contacts interpersonnels.

Les enseignants et surtout d’après les chiffres, les femmes enseignantes souffrent du manque de soutien de leur hiérarchie qui pratique un management davantage contrôlant que protecteur. Ce manque de soutien se retrouve malheureusement souvent entre collègues. Le manque d’espace de travail dédié, le manque de temps pour se rencontrer, l’instabilité des équipes et la peur d’être jugés sont autant de facteurs qui expliquent qu’une réelle organisation du travail collective formelle ne soit pas mise en place. C’est d’ailleurs pour cela que les groupes de professeurs sur les réseaux sociaux sont si populaires : nous y sommes à la fois anonymes et entre pairs, hors-temps de travail et en toute flexibilité.

Dans cette étude, le manque de valorisation (respect et estime) du travail est pointé du doigt par une majorité des enseignants. Au final, une majorité (et encore une fois, une majorité de femmes) affirme qu’elle ne serait pas heureuse que son enfant fasse ce métier…

La première cause de stress des enseignants est donc structurelle et touche à la fois les hommes et les femmes avec davantage de femmes qui se sentent touchées par les risques psychosociaux du métier.  Nous verrons plus bas que cette « sensibilité accrue » manifestée dans les sondages s’explique par la double charge que subissent les femmes. 

 

2. Une non prise en compte des phases délicates de la vie des actrices de l’éducation 

 

Les besoins physiologiques des enfants et de leurs éducateurs ne sont pas pris en compte. Classes exiguës, non climatisées, surpeuplées créent un environnement non propice à l’apprentissage. Mobilier lourd, bruyant et peu adapté ; lumières artificielles fatigantes ; acoustique mauvaise ne rencontrent pas non plus les besoins de base des personnes et créent du stress. Toilettes peu accueillantes, d’autant moins pour celles qui seraient enceintes ou qui ont leurs règles et besoin d’un évier individuel dans une toilette pour changer leur protection menstruelle par exemple.

Un de nos besoins physiologiques importants est celui de se reposer. Or, les enseignants apportent du travail à la maison après leur temps de transmission en classe et passent leurs week-ends et leurs soirées à effectuer du travail administratif (encodage de points) ou pédagogique (corrections, préparations) empêchant ainsi le repos chez soi, seul, en famille ou avec les amis.

Les besoins de sécurité, d’appartenance, d’estime et d’accomplissement sont peu voire pas du tout rencontrés. Les enseignants souffrent de ne pas avoir le temps de créer du lien, d’approfondir une discipline, de faire davantage de sorties culturelles, d’expliquer autrement pour ceux qui ne comprennent pas avec les premières explications. Ils sont critiqués par leur hiérarchie et par les parents. Leur salaire ne représente ni leurs compétences ni l’importance de leur fonction. Enfin, ils sont bien souvent baladés de classe en classe ou d’établissement en établissement en début de carrière et confrontés à des portes fermées en termes d’évolution de poste ou de fonction en fin de carrière. Quand les besoins de base des personnes ne sont pas rencontrés, cela génère un stress important chez elles. 

Pour les femmes qui, dans leur vie, traversent des moments plus délicats que d’autres, être enceinte, allaitante, en processus de ménopause ou réglée n’est pas du tout pris en compte. On exige d’elles qu’elles soient au top,qu’elles prennent peu de congé, qu’elles gèrent des classes de 30 élèves et qu’elles soient aussi concentrées et en forme qu’un pilote d’avion.  Les femmes n’ont pas la possibilité de prendre soin d’elles comme il le faudrait dans ces moments parfois physiologiquement compliqués.

 

3. Une société de l’accélération

 

 La société occidentale nous enjoint à davantage de croissance, de progrès, de développement de soi, d’expériences intenses. Tout cela couplé au fait qu’il faille en plus se sentir heureux et investis au travail. Dans les mêmes 24h que nos ancêtres. Pas étonnant que le temps de sommeil ait diminué!

Les enseignants sont pieds et mains liés par des programmes toujours plus denses à « boucler » avant telle ou telle échéance. Les pratiques changent sans cesse, les programmes aussi et les élèves semblent avides de davantage de vitesse, de changement et d’images.

Nos horaires sont fixes et la cloche sonne comme à l’usine. L’école a été conçue sur le modèle fordiste des usines avec une séparation des tâches, des disciplines et même des personnes avec les classes d’âge. Comme si tous les élèves du même âge avaient le même niveau et devaient être au même point d’apprentissage dans chacune des disciplines. Note: nous avons vécu ce temps de confinement comme un temps de décélération source d’une diminution de stress pour beaucoup.

Pourtant, et de façon paradoxale, la liste des tâches ne cesse de s’allonger et il appartient à chacun de faire en sorte de tout caser -au mépris de la qualité. Ce sentiment de ne pas faire comme il faudrait est source de stress pour bien des enseignants soucieux de bien faire leur travail. Les hommes et les femmes sont logés à la même enseigne. Ce qui touche plus particulièrement les femmes dans cette cadence, c’est le fait que leur liste des tâches ne cesse de s’allonger, non seulement les tâches relatives au foyer (nous évoquerons ce point plus bas) mais aussi la pression patriarcale qui exige d’elles beauté, santé, jeunesse (donc pas de cheveux blancs par exemple ni de poils: temps de coloration et d’épilation à compter), bienveillance envers les enfants (d’autant plus si elles sont enseignantes) et si possible épanouissement personnel;). 

 

4. Une société paradoxalement exigeante

 

La crise économique est telle qu’il est essentiel pour un jeune de sortir diplômé afin d’avoir une petite chance de trouver du travail. On peut difficilement s’en sortir avec une scolarité médiocre ou en apprenant un métier sur le tas. Les métiers se sont hautement spécialisés et le nombre d’emplois intéressants et valorisants a diminué, d’autant plus que de plus en plus de personnes étudient dans le supérieur. C’est un cercle vicieux…le diplôme est essentiel ainsi que la spécialisation dans un métier -et ne suffisent pas toujours (cfr l’héritage culturel dont parle Bourdieu). L’observatoire des inégalités le démontre. 

Les parents le savent et sont angoissés pour leur enfant ; ils transmettent leur angoisse aux profs auprès de qui ils exigent que leur enfant réussisse en dépit de tout -et parfois malgré lui. L’écart de diplôme ayant diminué entre les professionnels de l’éducation et les autres professionnels, la relation parents-professeurs ne favorise plus « hiérarchiquement « la parole du professeur et crée des tensions et un manque de confiance. 

Le système capitaliste a transformé en quelques décennies les citoyens en consommateurs. Nous pouvons consommer n’importe quel bien disponible sur internet à toute heure du jour et de la nuit pour un prix souvent dérisoire par rapport à son coût en termes de main d’œuvre et de ressources physiques. Les droits sociaux acquis au début du siècle dernier sont devenus la norme pour nous alors qu’ils sont l’exception à l’échelle mondiale ; ce faisant, nous les croyons inamovibles et avons tendance à les considérer comme des services à consommer. Cette attitude est particulièrement stressante pour les enseignants qui font souvent ce métier afin d’être utiles à la société, se mettant au service de sa jeunesse, et qui reçoivent très peu en retour symboliquement et matériellement parlant, hommes comme femmes.

Malgré l’importance de l’instruction et du diplôme, on constate que la profession est peu rémunérée au regard de la qualification des personnes (notamment car la profession bénéficie de peu de primes par rapport à d’autres cadres). Le pouvoir d’achat des enseignants est ainsi moindre que bien des professions de cadres. Elle perd donc en prestige auprès du public, habitué à respecter davantage ceux qui gagnent beaucoup d’argent (censés être particulièrement débrouillards, courageux ou astucieux -des qualités particulièrement prisées dans notre société occidentale influencée par les idées anglo-saxonnes capitalistes). Le fait que la majorité du corps enseignant soit féminin n’est peut-être pas un hasard dans cet état de fait…On dirait qu’inconsciemment le monde politique se demande pourquoi rémunérer davantage des personnes qui sont de toutes façons soutenues par leur conjoint (et si elles ne le sont pas…tant pis pour elles…) ?

 

5. Un manque de lien

 

Une société où tout va trop vite comme le philosophe Hartmut Rosa le dit dans son livre « Accélération », se déconnecte des personnes et perd en Ubuntu, en lien entre les gens. Le stress que nous vivons au quotidien provient aussi et peut-être avant tout d’un manque de liens et de soutien entre les personnes. De cette impression qu’on est seul.e, sans « tribu ».

L’accélération de notre société a créé une sorte de coupure entre les individus : on n’a plus le temps de s’écouter, d’être simplement ensemble, de ne rien faire ou de fabriquer ensemble. Chaque instant doit être rempli et évaluable. On n’est pas là pour rassurer les autres (je l’ai déjà entendu d’un directeur d’école), les émotions sont bonnes pour la psy scolaire ou le psychologue du travail (si on est vraiment très mal). Note: la crise sanitaire et le confinement imposé nous ont montré à quel point ce manque de lien peut être difficile à vivre.

L’enseignant qui est dans un passage difficile ou simplement qui est confronté à un cas particulier, qui le touche au cœur pour X raisons n’a aucun espace officiel pour partager avec ses pairs ce qu’il vit.

Les enseignants ont l’impression de perdre du temps en gestion de classe et s’épuisent à chercher le silence, le calme et la position assise. Ce faisant, ils s’épuisent. S’ils n’y arrivent pas, ils se sentent nuls, incompétents, mous. S’ils y arrivent ils déploient des trésors d’inventivité ou bien se déguisent en gendarme -à moins qu’ils n’aient choisi cette posture une fois pour toutes afin de se désempêtrer de tout conflit potentiel.

Hommes et femmes partagent ce constat avec la difficulté supplémentaire pour les femmes qu’elles partent avec le stéréotype collé à leur peau de leur bienveillance naturelle et de leur douceur et qualités de maternage au détriment d’une autorité « naturelle » plutôt masculine. Elles sont en charge du confort émotionnel de leur entourage et peuvent ainsi perdre en énergie et oublier de prendre soin d’elles aussi et avant tout.

 

6. Un manque de connaissance de soi

 

Ce point découle du précédent. Nous ne prenons plus le temps pour la création du lien et d’autant moins pour le lien avec nous-même, le lien intérieur. Les questions permettant une prise de recul sur notre vie professionnelle nous permettraient pourtant de ne plus être le jouet de nos émotions et de nos réactions. Une personne qui sent qu’elle n’a pas une certaine prise sur elle-même vit peu à peu le stress de ne pas savoir comment réagir adéquatement aux situations complexes qu’elle vit au quotidien. Faut-il fuir ou se battre (le fameux fly or fight) ? Qu’est-ce qui dépend de moi dans cette situation ? Que puis-je changer et qu’est-ce qui est hors de ma zone d’influence ?

Le métier d’enseignant est un métier complexe, multitâches, où le nombre d’élèves et de collègues croisé en une journée engendre potentiellement une intensité de relations très forte voire des conflits. Un cours qui ne se passe pas bien, un élève qui perturbe le cours, un collègue qui ne nous salue pas peuvent être interprétés comme des attaques personnelles, un manque de respect pour nous, notre statut, notre personne (cfr point suivant). Or, qu’il peut être épuisant de tout prendre personnellement! Car il s’agit bien ici d’interprétations personnelles faites au prisme de notre histoire personnelle et de nos propres valeurs. Ce manque de connaissance de soi génère chez les personnes le réflexe de tout prendre personnellement Cette subjectivité dans notre vision du monde crée du stress car si tout semble contre moi, suis-je en capacité de réagir à tout, tout le temps ? Ne vais-je pas m’épuiser physiquement et psychologiquement ? Se connaître permet de prendre les mesures nécessaires afin de se ressourcer.

Nous ne réalisons pas toujours que notre esprit est encombré par nos pensées car nous y sommes tellement habitués que nous croyons qu’elles et lui ne forment qu’un.  Nous avons eu à subir tant d’injonctions de la société (« sois gentille », « sois forte », « sois parfaite » etc) qu’il est difficile de ne plus leur obéir. 

Une enseignante qui ne se connaît pas suffisamment peut se sentir submergée par le tourbillon de ses pensées et de ses émotions et ne plus entendre la partie de son esprit calme, à la fois rationnelle et en lien avec son cœur, surtout si elle est aux prises avec les fluctuations de son cycle. Pourtant que de résilience peuvent surgir d’une femme qui entend son intuition et connaît sa puissance! La connaissance de soi crée de la conscience sur ce que nous faisons de façon inconsciente et permet de prendre confiance en soi.

 

7. Une gestion de classe complexe

 

Les élèves n’apprennent plus comme avant. Ils veulent apprendre autrement, en touchant, en expérimentant, en étant ensemble et non plus seuls devant leur écran (note bis: la continuité pédagogique pendant le confinement a clairement montré du doigt combien importante et motivante pour la plupart d’entre eux est la présence rassurante de l’adulte à côté des élèves et non derrière l’écran) . Ils ont du mal à rester assis, à écouter un adulte leur expliquer quelque chose.

Ce n’est pas entièrement de leur faute. Biberonnés au numérique (« googleisés » comme le dit Edgar Morin), ils ont compris que le savoir n’était plus réservé à une élite. Ils ont appris à trouver vite, à recevoir rapidement, à vivre dans une certaine facilité. Ils savent que le climat a changé, à cause de nous les adultes. Ils ne sont pas sûrs de savoir de quoi demain sera fait. Ils sont nés dans une période où le chômage est endémique. Ils ont mis la parole des scientifiques en doute (eux qui garantissaient que le progrès serait positif et exponentiel) et préfèrent écouter des influenceurs à l’image flatteuse. La même méfiance s’étend aux journalistes et aux enseignants. Le respect tel qu’on l’entendait auparavant (écoute silencieuse, confiance) s’en ressent.

L’enseignant ne sait plus comment faire. Les veilles recettes ne fonctionnent plus. Ce changement est dur à appréhender même pour les plus jeunes dans le métier car nous avons appris des méthodes anciennes avec des formateurs plus âgés. Nous étions, la plupart d’entre nous, de bons élèves qui aimaient apprendre et surtout avaient compris comment apprendre. Nous n’avions pas de téléphone portable apportant sans cesse des notifications comme quoi nous étions « aimés » ou pas. Nous n’avions pas autant la parole dans nos familles et dans la société que les jeunes l’ont aujourd’hui. Nous sommes des enseignants du XXème siècle qui enseignent à des élèves du XXIème avec un système du XIXème siècle, comme le dit Andreas Schleicher. Il y a aujourd’hui un écart générationnel immense entre les élèves et leurs professeurs. 

Pour les femmes, il faut encore faire face au stéréotype tenace qu’elles auraient moins d’autorité qu’un collègue masculin de même âge et de même expérience. La recherche sociologique nous le montre: on octroie une sorte d’aura d’autorité naturelle aux hommes, aux maîtres, tandis que les femmes seraient vues comme étant davantage dans la bienveillance et la gentillesse. Pas facile de démontrer le contraire aux familles, aux élèves et aux collègues bien intentionnés certes mais qui pourraient douter de notre autorité si nous la fondons sur autre chose que sur le dyptique punitions/récompenses…

 

8. Un manque de confiance dans ses compétences qui touche davantage les femmes

 

Le plaisir, le « flow » de Mihaly Csikszentmihalyi, naît quand nos valeurs sont rencontrées, quand notre concentration est engagée dans une tâche pour laquelle nous nous sentons compétents. Quand notre expérience est optimale.

Jeune enseignante, je ne m’autorisais pas à jouer en classe avec mes élèves (alors que j’avais fait un travail de fin d’études sur la ludification des séquences de grammaire). Je me disais que ça ne faisait pas sérieux, qu’on n’était pas là pour jouer…je ne connaissais pas ce flow dont parle Csikszentmihaliy. Et je ne connaissais pas non plus Peter Gray, un scientifique américain qui a décidé d’étudier l’enfant et son rapport au jeu. Selon ses études,  l’enfant n’apprend plus dans des conditions optimales car il a besoin de jeu libre et de liberté de choix, de temps et de cursus pour un apprentissage profond et motivant. Quand j’ai décidé d’oser jouer en classe le plus souvent possible ce fut une véritable libération tant pour moi que pour les élèves. J’ai réalisé à quel point j’étais stressée par le programme et sérieuse. Tout le temps. Avec ce masque de l’enseignant qui endosse son rôle devant ses élèves. Et une attitude qui manifestait aux élèves que je n’étais pas comme eux.

Alors que bien des personnes ne choisissent pas leur travail ou ne l’aiment pas, les enseignants ont la chance de l’aimer ou de l’avoir aimé, de l’avoir choisi et d’apprécier de se sentir utile. Mais les conditions sont telles (voir plus haut) que le plaisir devient difficile à trouver. Quand on n’a plus le temps, quand on court après le programme, quand on doit se réunir sans arrêt, quand on doit créer ses cours tout le temps et corriger sans cesse, où se cache le plaisir ?

Quand on n’a pas le temps de se former à ce qui est réellement important pour être un enseignant davantage compétent, quand on n’a pas le temps d’échanger avec ses pairs, comment affûter sa pratique et ainsi y prendre davantage de plaisir? Comment grandir en confiance dans ses compétences? Or, sans confiance en soi et en les autres, la moindre contrariété (et il y en a tant !) devient pénible et source de stress.

Il est possible d’exercer dans la joie si nous décidons de changer de paradigme. Comme je l’évoquais dans le point précédent, l’autorité traditionnelle de l’enseignant se base sur sa capacité à mettre ses élèves au travail en utilisant le système commun de récompenses/punitions. En tant que femme, nous ne bénéficions pas de cet aura et la plupart d’entre nous souffrent d’un manque de confiance en soi acquis (voir les références en bas de page). Et si le plaisir d’exercer provenait du changement que nous pourrions impulser? Et si nous les femmes enseignantes et directrices pouvions nous défausser du joug du patriarcat qui s’est invité dans les écoles et reprendre confiance?

 

9. Une source de stress: la charge mentale

 

Le concept de charge mentale, popularisé par la dessinatrice Emma, donne une première explication à la plus grande vulnérabilité au stress des femmes. En effet, comparativement à d’autres pays, les enseignants de France et de Belgique passent moins de temps dans leur établissement. Ce faisant, les enseignantes se voient quasi automatiquement retrouver une «  une réactivation des hiérarchies de genre caractérisée par une organisation du travail (féminin) fréquemment centrée sur la famille. » créant ainsi des conséquences dommageables pour gravir la hiérarchie notamment mais aussi au quotidien sur leur capacité à gérer le stress.

Planification des repas, ménage, aide aux devoirs, penser à acheter des chaussettes, du savon, du PQ, prendre rdv avec la maîtresse, le docteur etc etc….tu vois ce que je veux dire, la fameuse charge mentale. Le partage matériel des tâches est équitable mais pas la gestion/organisation de ces tâches. Selon l’observatoire des inégalités, les femmes consacrent encore davantage de temps au soin du foyer. Les hommes s’occupent plutôt de ce qui se voit, perdure et qui est valorisé (le bricolage) tandis que les femmes vont plutôt être en charge du ménage et des enfants: des tâches qui peuvent être ingrates, répétitives et jamais totalement terminées. Et ce, même si elles travaillent à temps plein (mais on a davantage de temps quand on est prof, non 😉 ?). 

Même les enjeux écologiques sont supportés par les femmes. Notre tendance à tous à culpabiliser parce que nous devons consommer moins et mieux mais que nous n’y arrivons pas…Ce sont les femmes, en charge de l’organisation familiale (courses etc) qui assument leur part de sur-responsabilisation et de culpabilité.

Enfin, étant donné qu’à peu près 1 mariage sur 2 se solde par un divorce, il y a une autre pression sur les femmes qui est source de stress. Le spectre de la séparation est bien présent et sa précarisation des mères célibataires agit comme une barrière (cfr Mona Chollet).

 

10. Un problème lié aux discriminations de genre

 

Comme le montrait le premier paragraphe, les femmes sont davantage touchées par les risques psycho-sociaux que les hommes. Ce sont elles qui souffrent en plus grande proportion de burn-out. Et ce sont elles également qui espèrent le moins voir leurs propres enfants devenir enseignant.

En plus de la charge mentale, les femmes ont un accès clairement plus compliqué à un avancement de catégorie ou de fonction. Le fameux plafond de verre existe dans l’éducation nationale aussi et pas seulement dans les entreprises privées car c’est un obstacle créé par la société. Il se traduit par un certain favoritisme envers les hommes lorsque l’inspecteur est lui aussi un homme par exemple. A cause de son autorité « naturelle » ou pour le récompenser du temps qu’il aura consacré à son métier en s’investissant dans des activés sociales et culturelles périscolaires (cantine, garderie, clubs divers etc). Ce qu’on ne voit pas, c’est que ce temps libre est libéré par l’organisation genrée du travail. 

A l’instar d’autres métiers où le nombre de femmes dépasse le nombre d’hommes, leur nombre n’implique donc pas qu’elles auront des carrières et des avancements équivalents (voir l’étude de Fortino). Et elles le savent. Ainsi, aujourd’hui, on observe que la majorité des professeurs des écoles sont des femmes tandis que la majorité des professeurs d’université sont des hommes, de même que dans les positions hiérarchiques « hautes ». Même si cette tendance tend à s’inverser (les femmes proviseurs sont un peu plus nombreuses qu’avant par exemple), les femmes qui sont à de telles positions sont davantage proportionnellement seules et/ou divorcées et ont de ce fait « échappé » à cette organisation du travail centré sur la famille et dommageable à une carrière. Si elles sont restées mariées et ont des enfants, elles prennent ces responsabilités bien plus tard que leurs homologues masculins pour qui la paternité n’est en rien un frein pour leur carrière et le fait d’être en couple plutôt un « coup de pouce » en terme de soutien.

Etre mariée avec ou sans enfants est donc dommageable non seulement à une carrière (les congés de maternité ou les mi-temps par exemple diminuent les annuités) mais aussi plus personnellement. Car une fois mères, les femmes bien souvent se retrouvent tiraillées entre l’envie de rester avec leur bébé, la difficulté de rester seule avec lui si elles ne reprennent pas le boulot, le déchirement de le laisser si petit si elles reprennent leur poste, les complications liées à la garde de l’enfant si il est malade etc etc…..

Une catégorie sociale, en l’occurrence les femmes, qui constate ces difficultés mais ne peut l’expliquer objectivement ou qui pense que ce sont des conséquences naturelles d’événements personnels tels que le fait d’être mariée ou d’avoir des enfants peut au mieux culpabiliser et au pire souffrir de stress devant une situation discriminante où elle se sent impuissante. Or, il s’agir là d’un système sociétal à fonctionnement patriarcal et discriminant.

 

Pour conclure

J’ espère avoir brossé un tableau assez complet de la situation douloureuse que vivent bien des Actrices de l’éducation. Evidemment, elles vivent aussi des moments heureux dans leur carrière, des moments qui viennent confirmer la valeur de leur engagement pour l’éducation, pour l’instruction et pour les jeunes. Les hommes partagent le poids de ces raisons mais pas toutes.

Mais maintenant tu sais que ce que tu vis n’est pas entièrement de ta faute, que tu subis une pression supplémentaire sur tes épaules.

Que peux-tu y faire? Qu’est-ce qui dépend de toi en tant qu’individu? Quelle est ta zone d’action?

Tu as la possibilité de prendre du recul sur tes choix et de voir en quoi ils te correspondent vraiment. Si ces choix correspondent à tes valeurs et à tes besoins, il y a davantage de chance qu’ils soient importants. Connaître ses valeurs et ses besoins est essentiel pour être sujet et non plus objet de sa vie. 

Je t’encourage à classer en 4 parties tous les éléments de ta liste et à faire ceci tant pour les aspects de ta vie personnelle que pour les aspects de ta vie professionnelle.

Quelle catégorie est-elle la plus fournie en tâches à effectuer?
Est-ce qu’il y a une catégorie qui ne contient aucune tâche?
Est-ce que tout est important? Tout est-il urgent?

On nous a appris à dire merci aux autres. Tu as peut-être lu quelque part que tu pouvais ressentir de la gratitude pour tout ce qui t’arrive de beau. Mais tu n’as pas forcément appris à manifester de la gratitude envers toi-même.

Tu es quelqu’un de consciencieux et peut-être même de perfectionniste et d’idéaliste. Et c’est très beau : le monde a besoin de gens comme toi. 

Je voudrais que tu penses à chaque item de ta liste et que tu manifestes de la gratitude envers toi-même pour avoir voulu consacrer ton énergie à ce qui te paraît juste et important.

Répète-toi plusieurs fois cette phrase « Je me remercie du fond du cœur pour avoir voulu faire ce qui est juste et important. Je suis quelqu’un de bien. ». Et observe les émotions qui naissent en toi.

Enfin, je t’invite maintenant à consacrer ton énergie à ce qui est important et urgent. Et à veiller à ce que toi et ton bien-être apparaissiez dans ces catégories ! afin de te sentir plus sereine au quotidien. Mon cours en ligne gratuit de 12 jours « Diminuer son stress (grâce aux principes de la permaculture) » pourra t’y aider.

A bientôt,

Amandine

 

J’accompagne sur les plans personnels, professionnels et spirituels les Actrices de l’éducation qui veulent gagner en confiance, sérénité et audace.

En savoir plus sur mon travail de coach intuitive et mon parcours de prof ICI.

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Références (dans le désordre)

Sylvaine Jégo, Clément Guillo. LES ENSEIGNANTS FACE AUX RISQUES PSYCHOSOCIAUX : Comparaison des enseignants avec certains cadres du privé et de la fonction publique en 2013. Education et Formations, Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, Direction de l’évaluation et de la prospective, 2016, pp.77-113. 

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01521720/document

Patrick Rayou et Agnès Van Zanten, Enquête sur les nouveaux enseignants. Changeront-ils l’école ?, Bayard, 2004.

Durat et Brunet Les facteurs de risques psycho-sociaux chez les personnels de l’enseignement et de la recherche

https://journals.openedition.org/formationemploi/4139

Mihaly Csikszentmihalyi Flow: The Psychology of Optimal Experience 2008

Fotinos et Horenstein, Le moral des directeurs d’école en 2018, L’enquête a été réalisée à l’initiative de la CASDEN 

Cacouault et Combaz, Hommes et femmes dans les postes de direction des établissements secondaires : quels enjeux institutionnels et sociaux ? Revue française de pédagogie, n° 158, janvier-février-mars 2007, 5-20

A propos du confort émotionnel que doivent fournir les femmes: http://femmesdedroit.be/ressources/abecedaire-feministe-belgique/charge-emotionnelle/

Féminisation du métier et manque de prestige: https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2001-1-page-91.htm


Anne Barrère, « Pourquoi les enseignants ne travaillent-ils pas en équipe ? », Sociologie du travail, vol. XLIV, n° 4, 2002.


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DELCROIX Céline (2011), « Les professeur-e-s des écoles au regard du genre : des carrières à deux vitesses ? », Carrefours de l’éducation 1/2011 (n°31), 193-216

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Patrick Légeron Le stress professionnel Dans L’information psychiatrique 2008/9 (Volume 84), pages 809 à 820

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