Quand j’ai démissionné de mon poste de professeur de français pour partir vivre en Afrique, j’étais loin d’imaginer tout ce que j’allais apprendre professionnellement et personnellement !
Je me doutais bien que ce serait une aventure personnelle forte, que je découvrirais avec plaisir une culture que je ne connaissais pas du tout, que je rencontrerais des tas de personnes toutes plus incroyables les unes que les autres et que ce ne serait pas tous les jours faciles d’être loin de chez moi. Mais que j’allais apprendre un second métier, celui de coach, et diriger une école en étant présidente d’association, je n’en avais aucune idée!

En 2015, je suis devenue présidente du conseil d’administration d’une école internationale au Cameroun, fondée sous le régime associatif de la loi 1901. Des parents expatriés de divers horizons avaient décidé, en 1985, de créer cette école afin de permettre à leurs enfants de suivre le même curriculum qu’en France. Peu de temps après, l’école devenait agréée par l’AEFE, accueillait plusieurs enseignants titularisés en France ainsi qu’un directeur (lui aussi titulaire détaché de l’éducation nationale française). La particularité de cette école était que les parents la dirigeaient et avaient délégué cette tâche à quelques uns d’entre eux, élus en conseil d’administration.
Bref, quand mes enfants sont entrés à l’école, j’ai eu envie de m’investir dans l’association pour plusieurs raisons, rencontrer des personnes bien sûr, mais aussi revenir dans le monde scolaire d’un autre manière, « de l’autre côté du miroir ». Après avoir été vice-présidente du CA et avoir pu observer le travail du président, j’ai ensuite été élue présidente.
Devoir présider des réunions d’association, contrôler de la façon la plus diplomatique possible le travail des salariés (dont celui du directeur, des enseignants, des agents d’entretien mais aussi du comptable ou de la secrétaire), recruter, licencier etc n’était pas une sinécure. Je partais avec plusieurs désavantages, dont le moindre n’était pas mon inexpérience en la matière !

J’ai appris quantité de choses lors de cette expérience intense.
D’abord sur l’école en tant que telle : une véritable ruche bourdonnante de vie, où tous les jours il se passe quelque chose, où les personnes rient, pleurent, travaillent ensemble et surtout un lieu en lien avec le « dehors » : quartier, ville, communauté.
Sur le travail de direction : là aussi une quantité d’informations, de documents, de personnes à rencontrer, à motiver, à recadrer. Tout en gardant le cap vers une vision d’une école plus juste pour chacun des enfants.
Et sur le rôle des parents dans le fonctionnement de l’école. En l’occurrence ici les parents avaient officiellement leur mot à dire, tant sur les aspects de gestion de l’école que sur l’académique. Mais cette égalité créait une émulation, un respect mutuel et encourageait tous les acteurs de l’éducation des enfants à collaborer ensemble pour créer une école positive pour les enfants- quand le dialogue fonctionnait grâce à des valeurs communes établies formellement dans une charte.
Tout cela, je pouvais en avoir une petite idée auparavant lorsque j’étais en classe avec mes élèves.
Pendant cette expérience, j’ai pu suivre de près le quotidien du chef d’établissement, véritable point focal auprès de qui tous viennent soumettre une question ou un problème. Je n’avais aucune idée de l’immense travail abattu par la direction.
J’ai pu observer à quel point sa manière d’être et la façon dont il incarne sa fonction joue énormément dans l’ambiance de l’école, pour le meilleur ou pour le pire.
Mais parmi tout ce que j’ai vécu lors de cette expérience, 3 choses m’ont vraiment surprise.
1. Le leadership peut se vivre « au féminin »
Prendre la tête d’un groupe, quelqu’il soit, après une figure masculine forte (ou après une femme qui incarne un leadership dit « masculin ») n’est pas très confortable. Après avoir tâtonné et tenté d’imiter mes prédécesseurs, j’ai voulu trouver mon propre style de leadership.
En effet, j’avais ma propre personnalité, faite de l’ensemble de mes qualités (empathie, intuition, valeurs fortes et alignées avec ma vie), défauts (biais, peurs etc) et une approche différente de la fonction, étant moi-même dans l’éducation (j’avais notamment une grande empathie vis-à-vis des enseignants).
Je n’avais pas d’expérience de gestion ni de coordination à si grande échelle (beaucoup d’argent à gérer, des centaines d’usagers, des employés) ni dans ces conditions (dans un pays étranger sous la loi camerounaise). De plus, je n’avais pas de « prestige » étant une jeune femme européenne d’une petite trentaine d’années dans une culture masculine qui valorise le leadership des hommes.
Comment ai-je fait ? Après quelques mois à avoir l’impression de nager dans un bain de confusion, à tenter de tout comprendre, de tout apprendre et de donner l’impression que je savais ce que je faisais ;-), j’ai enfin compris que je pouvais « juste » vivre cette expérience à ma manière, à savoir en essayant un maximum d’être :
- Audacieuse, afin de remettre en question les idées reçues et de sortir des sentiers battus
- Confiante dans mes compétences et dans celles de mes collaborateurs (et n’hésitant pas à les encourager à prendre leurs responsabilités)
- A la fois en empathie avec les personnes ET déterminée dans mes décisions
- à l’écoute de tous, afin d’avoir une vue d’ensemble de la question surtout lorsqu’il s’agit de situations conflictuelles et ok avec le fait de passer du temps à s’occuper des conflits
J’ai ainsi pu développer les qualités (qu’on accorde, à tort, culturellement aux femmes) telles que la capacité à soutenir à dialoguer et à collaborer. On l’appelle leadership au féminin mais on peut l’appeler aussi leadership authentique: bref, au-delà du nom, il s’agit de s’inscrire dans un esprit de partage et d’empathie.
Surtout, j’ai évité l’écueil du micro-management en acceptant de « lâcher » des dossiers et de faire confiance dans mes collaborateurs qui avaient développé une expertise que je n’avais pas. Pas évident au début quand on est consciencieuse/perfectionniste comme moi, qu’on n’a pas trop confiance en soi et qu’on est un peu contrôlante sur les bords 😉
2. On ne fait jamais l’unanimité
Autre chose que j’ai appris à mes dépends est qu’on ne fait jamais l’unanimité…et que ce n’est pas grave.
Il y aura toujours des personnes qui préféraient le précédent ou qui rêvent à ton successeur. Ton style communicationnel, ta façon de t’habiller, ton orthographe, ton charisme, ton âge…les manques à ta formation, les dossiers que tu ne connais pas suffisamment….Le nombre d’éléments potentiels de critiques sont à la hauteur de ta visibilité : élevés.
Pour quelqu’un qui, comme moi, a un grand besoin d’approbation cela peut être très dur à vivre. Cela demande d’avoir la conscience de ses lacunes et la volonté de remédier à certaines ou de déléguer à d’autres ce qu’on ne fait pas bien si ces lacunes sont pour le moment trop profondes. Attention, l’idée n’étant pas de devenir parfait mais juste d’avoir l’envie de continuer à apprendre, à être un apprenant, pour faire au mieux son métier tout en gardant une vie personnelle.
Mais tout ça, je le savais déjà. Ce qui m’a le plus surprise, c’est de constater que le conflit est non seulement intrinsèque aux communautés de personnes mais que, bien géré, il est utile. A ce titre, il ne faut pas l’éviter mais l’accueillir.
Le conflit naît lorsque deux idées semblent de prime abord irréconciliables. Ou bien quand ce que j’ai exprimé n’a pas été entendu comme je l’aurais voulu. Quand deux valeurs semblent en opposition. Quand un besoin essentiel n’a pas été entendu : besoin d’accomplissement, besoin d’être écouté, besoin de comprendre peut-être. Le conflit met le doigt sur tout cela, là où ça fait mal mais, ce faisant, nous oblige à nous pencher sur la blessure et à tenter de la soigner.
Concrètement, accueillir un conflit c’est donc créer les conditions de son bon déroulement : écoute, respect et non-violence.
Plus facile à dire qu’à faire mais cette croyance positive (par opposition à celles qui nous limitent) m’a permis, petit à petit, de ne pas me sentir personnellement visée par les critiques tout en les écoutant avec attention. Et de chercher derrière les conflits le besoin qui n’a pas été rencontré : ce qui m’a paru être une des tâches essentielles de ma fonction.
3. La réticence au changement est normale
Je n’avais jamais remarqué comme la réticence au changement pouvait être si forte avant d’avoir été présidente de l’école ! Pourtant je n’avais rien changé de fondamental mais la simple modification du ton de mon leadership, ma seule présence étaient sources de crispations pour bien des personnes qui craignaient de se voir enlever des privilèges durement acquis. Mais cela je ne l’ai compris que plus tard.
Et quand j’ai voulu effectivement changer des choses, j’ai ressenti fortement comment beaucoup de gens freinaient devant ces modifications. Quand j’étais prof, j’arrivais tant bien que mal à gérer ces résistances (même si j’explique dans cet article que j’aurais agi autrement si j’avais compris deux ou trois choses essentielles avant de commencer à enseigner). Mais avec des adultes, c’était une autre paire de manches. Ce que j’ai compris, c’est que plus les changements étaient annoncés et expliqués, moins les réticences étaient fortes. Il a fallu du temps pour que psychologiquement tout cela soit intégré et ensuite seulement les changements ont été acceptés.
Et même ensuite, la crainte d’un futur incertain était bien plus forte que le mécontentement d’un présent non satisfaisant. ll fallait que les personnes soient écoutées et rassurées. Qu’elles entendent que leurs besoins étaient pris en compte et respectés.
Dès que les changements sont provoqués par un agent extérieur à soi, l’être humain freine des 4 fers (et même parfois quand il veut changer des choses en lui-même!). Pourquoi ? Parce que nous sommes des êtres libres qui ont besoin d’auto-détermination de nos actes et de liberté de penser et d’agir. C’est quelque chose qui se manifeste très fort quand nous sommes tout-petits, vers l’âge de 2 ans à son paroxysme « moi tout seul !!! ».
Et aussi parce que nous avons un instinct grégaire très fort qui s’atténue un peu après l’adolescence mais qui reste bien présent : nous voulons faire comme les autres, comme toujours. Même si nous n’aimons pas cela. Même si la solution est objectivement meilleure.
Enfin, notre inconscient personnel et notre inconscient collectif aime la sécurité et la stabilité: le changement est potentiellement porteur de difficultés, de conflits et donc d’insécurité.
Ce qui m’a le plus surprise dans cette expérience c’est la puissance de cet instinct et de ce besoin. Et c’est ce qui m’a poussée à étudier les étapes du changement afin de « surfer » sur elles comme on surferait sur une vague….
J’espère que ce partage d’expérience t’aura été utile!
Si le changement est un processus que tu voudrais davantage accueillir, je te propose de t’inscrire à l’atelier gratuit que je donnerai en ligne le 13 mai (visible en replay) « Accueillir le changement: les 3 clés pour développer sa résilience ». J’évoquerai les étapes du changement, les émotions qui nous traversent lors de bouleversements (tels que celui que nous avons vécu avec la crise sanitaire du covid19) et enfin les 3 clés pour développer sa résilience et devenir de vrais tuteurs et tutrices de changement pour les enfants et ados que nous accompagnons. (inscriptions fermées)