Alors que la phase de déconfinement se profile, comment se projeter au 11 mai dans des écoles réouvertes ? Comment enseigner en craignant pour sa vie, celle de ses proches et celle de ses élèves ? Comment envisager le retour en classe tant par rapport au programme, à la distanciation sociale, qu’au décrochage des élèves durant la continuité pédagogique en ligne ? Par rapport à l’idée qu’on se fait du métier?

Sans parler des préoccupations déjà présentes depuis le début de cette crise sanitaire relatives à l’organisation et l’équilibre sur les plans personnels et professionnels (comment gérer à la fois ses responsabilités familiales et le télé-travail ??), à l’utilisation intensive et parfois nouvelle des outils numériques et celles qui concernent les élèves (par rapport à leurs apprentissages et leurs conditions de vie parfois précaires).
Pour t’aider à y voir plus clair, voici la courbe du changement inspirée par celle du deuil d’Elisabeth Kübler Ross. Car vivre un changement, c’est faire le deuil de quelque chose qui n’est plus et qu’on sait perdu pour toujours.
Il s’agit d’un modèle théorique bien utile pour prendre conscience des étapes que nous traversons tous.
Les étapes du changement
– La phase de négociation: choc, déni, colère: nous refusons cette nouvelle réalité. Je pense à tout ce que j’avais prévu et qui est annulé, à mes projets pour cet été, aux conseils de classe avortés. Tout tourne dans ma tête, les spéculations sur l’avenir, les craintes diverses etc. Je me dis que les choses vont s’arranger. Que c’était une erreur. Que c’est un complot. Que les responsables gèrent mal. Etc etc!
– La phase d’expérimentation: je commence à adopter d’autres habitudes. Le numérique, le télétravail, les cours en ligne. Je tâtonne. Porter un masque. Réfléchir à mes déplacements. Applaudir avec les autres. Respirer à plein poumons. Tenter une activité que j’avais toujours repoussé à plus tard. Ce n’est pas facile, je peux me décourager, être dépassée par la technique de ce que j’apprends.
– Dans la phase de décision, je prends la responsabilité d’accepter ce changement. Cette prise de responsabilité me rend active et me fait du bien. Je fais des choix en conscience, en lien avec mes valeurs. Je suis rassurée sur le fait que la vie continue, que mes projets ont changé mais que j’ai le pouvoir de les créer et de m’adapter au changement.
– En phase d’intégration, je fais le bilan de ce que j’ai perdu et de ce que j’ai gagné grâce à ce changement. Je me focalise sur les apprentissages que j’ai pu faire et les intègre à ma vie, à mon chemin de vie. Je me sens sereine, pleine de gratitude et résiliente. Je m’adapte…mais attention: ça ne veut pas dire que je me soumets au changement, au contraire.
Dans ma prochaine conférence en ligne du 13 mai 2020 à 19h (disponible en replay), j’aborderai concrètement et de façon approfondie le changement et comment nous pouvons nous y adapter (inscription ICI)
Où es-tu sur cette vague?
Il n’existe pas de bonne ou de mauvaise réponse. L’important, c’est d’être consciente de la phase que tu vis.
Pourquoi ?
Parce que la conscience des choses, des émotions permet de ne plus en être le jouet mais de les accueillir. Cet accueil est le premier pas vers la seconde phase de la courbe, qui nous permet d’intégrer le changement en nous. La résilience est une force que beaucoup d’entre nous possédons, surtout après avoir vécu des expériences très difficiles, et qui s’exerce; elle est une puissance de vie que nous instillons sur notre propre chemin mais aussi sur celui des autres personnes que nous rencontrons, notamment nos élèves.
Connaître les différentes phases du changement nous permet de commencer à les visualiser, à les imaginer. Pour notre cerveau, c’est presqu’aussi fort que de les vivre.
Nous n’avons pas tous et toutes la même expérience, le même âge, le même public ni les mêmes circonstances familiales. Aussi, je ne te donnerai ni conseils ni baguette magique!
Pourtant, nous partageons quelque chose en commun : notre métier (le mien jusqu’à l’année dernière), notre souci moral des élèves et les différentes valeurs qui le sous-tendent: transmission, excellence, égalité etc.
Tu as certainement tes propres idées sur la vie colorées par ton identité, ta spiritualité, tes choix politiques etc. Ce que je te propose, c’est d’adopter une école de pensée qui soit suffisamment souple et positive que pour te permettre de surfer sur la vague du changement, de ne pas rester « coincée » dans la phase descendante mais d’avoir l’élan nécessaire pour entamer la phase ascendante.
Je t’en propose 3 mais bien sûr il en existe tant d’autres ! Ce sont celles qui me touchent le plus et que j’essaie d’appliquer au quotidien. Elles sont toutes simples et accessibles et non obscures ou complexes: car nous avons besoin de clarté en ces moments difficiles. Certaines des sagesses que je te propose ci-dessous sont validées scientifiquement (je pense à la permaculture) tandis que d’autres ne le sont que par l’expérience subjective. Je te laisse le soin de décider de laquelle tu souhaites te rapprocher 😊.
Ces philosophies de vie tentent, chacune à sa manière, de nous aider à retirer les filtres inconscients qui voilent notre regard. Ces filtres sont faits de nos peurs et de nos croyances limitantes issues de nos expériences et de notre culture. Il ne s’agit pas de changer radicalement sa façon de penser ni sa personnalité, mais d’essayer autre chose pour rebondir avec plus d’agilité lors de cette crise qui met à mal notre quotidien, nos habitudes et nos valeurs.
Prêt.e ?
1. L’Ubuntu
La philosophie de l’Ubuntu est d’origine sud-africaine et a été popularisée par Mandela et Desmond Tutu lors de la sortie de l’Apartheid.
Elle se résume en ces termes « Je suis car nous sommes », proposant ainsi une vision résolument collective de notre identité. Certes, je suis un individu bien distinct des autres, mais sans eux je suis bien peu de choses. J’aime beaucoup cette façon de voir la vie car elle nous responsabilise (mes actions sont importantes pour le groupe auquel j’appartiens) ET elle nous enlève des épaules toute ce qui ne dépend pas uniquement de nous.
Comme beaucoup de perfectionnistes, de femmes et d’occidentaux en général, j’ai tendance à croire que tout dépend de moi : ma réussite et celle de mes élèves, ma vie, mon boulot, mon compte en banque, mes enfants etc etc. J’ai vraiment du mal à demander de l’aide ; quand je le fais, c’est comme si je m’y résignais d’une certaine façon. Tous les jours, je tente d’intégrer ce nouveau « mantra » de l’Ubuntu en demandant de l’aide sans me sentir diminuée mais plutôt en étant consciente que, ce faisant, j’augmente d’autant la cohésion du groupe. Je vous avoue que ce n’est pas facile car c’est lutter contre toute une éducation et des schémas inconscients. Mais cela en vaut la peine!
Pour notre travail, adopter la philosophie de l’Ubuntu c’est manifester ses principes (voir ICI) en se demandant comment faire en sorte que mon groupe de pairs me soutienne dans ma tâche, comment transmettre mes valeurs à mes élèves et accepter les leurs sans les juger, comment je puis agir pour moi aussi soutenir les autres… à travers la mise en œuvre de qualités d’âme que l’on peut décider de développer -même si ce n’est pas facile.
2. Les accords toltèques
Les accords toltèques sont un ensemble de principes transmis par la civilisation toltèque à un descendant de chaman toltèque, Miguel Ruiz. Ces 4 accords qui forment une voie, sont simples et pourtant puissants:
– « Ne fais pas de suppositions »
– « Que ta parole soit impeccable »
– « Fais toujours de ton mieux »
– et « N’en fais jamais une affaire personnelle ».
Chaque accord résonnera différemment en toi selon tes propres peurs et tes propres freins. Personnellement, j’ai tendance à faire des suppositions: le 1er accord est donc essentiel au quotidien, dans ma vie personnelle mais aussi professionnelle. Cela m’a été très utile devant mes élèves….Car c’était si difficile de ne pas voir un manque de respect dans l’attitude de tel élève au comportement perturbateur !
Aujourd’hui, vu le manque d’explications claires relatives aux mesures de déconfinement qui commenceraient avec les écoles, il peut être tentant de supposer tout un tas de choses et surtout les pires. Cet accord peut nous aider à apaiser notre agitation intérieure ce qui nous permettra d’envisager sereinement ce futur imprécis et de, pourquoi pas, le créer à notre façon. Je pense notamment à l’idée évoquée sur un média de faire l’école à l’extérieur. Et si cette crise nous permettait de changer radicalement l’école publique?
Quant au 3ème (« fais de ton mieux ») il m’est utile pour dépasser mon perfectionnisme. J’ai enfin compris que mon « mieux » n’est pas synonyme de « parfait » et qu’il varie en fonction de mon énergie, des circonstances etc. Ouf, quel soulagement que d’arrêter de viser la perfection et d’être insatisfaite de ne pas y arriver ! Pour mon travail de prof, cela m’a aidé à relativiser les journées « sans ».
Pour ces journées de confinement, cela peut nous aider à cesser de viser la perfection mais à rechercher ce qui est essentiel à nos yeux en fonction des circonstances, de notre énergie et de celle de nos élèves (car toute relation se fait à 2 et ce que mettent les élèves comme énergie dans notre relation influe le « résultat » que je cherche à atteindre). En tant que coach aujourd’hui, cela m’aide à accepter que je ne peux pas faire autant qu’avant en termes de quantité (j’ai 3 jeunes enfants du genre bien actifs à la maison et un mari en réunions virtelles toute la journée!) mais que je peux continuer à proposer un soutien de qualité.
3. La permaculture
La permaculture, inventée dans les années 1970, est une méthode radicalement nouvelle de penser la culture agricole classique qui prend comme modèle les écosystèmes. Elle se base sur trois éthiques (prendre soin des gens, prendre soin de la terre et redistribuer les bénéfices aux gens et à la terre) pour s’assurer d’avancer sans endommager quoi que ce soit ou qui que ce soit. C’est bien loin de ce que vivent les exploitants d’immenses fermes agricoles qui épuisent la terre et ceux qui la cultivent tout en les paupérisant par une exploitation agressive.
Le lien avec notre métier ? Les 12 principes sur lesquels se base la permaculture s’appliquent à toute aventure humaine collective c’est-à-dire à toute organisation. J’en ai d’ailleurs fait un cours en ligne pour apprendre à diminuer son stress.
L’idée est que nos établissement et nos classes peuvent se voir comme des organismes dynamiques, mouvants, dont les éléments interagissent entre eux et dont la complexité garantit la résilience. Concrètement, cela me permet à moi, enseignante, de cesser de me considérer comme seule au monde ou comme simple petit rouage dans le grand système ; mais plutôt comme un élément indispensable à la bonne santé de l’organisme de par les liens que je parviens à créer avec les autres « éléments » à savoir mes collègues, mes élèves, ma hiérarchie et même le quartier dans lequel je me trouve etc. On passe d’une conception statique de l’école à une conception dynamique où chaque être est important. Avec comme conséquence une plus grande implication de ma part ET une recherche accrue de connections avec les autres. N’est-ce pas en totale contradiction avec le libéralisme économique (« personne n’est indispensable ») qui a déjà commencé à teinter de ses croyances le système scolaire ?
Un des principes de la permaculture qui m’aide le plus, est celui de la solution la plus petite. J’avais cette tendance à croire qu’il fallait absolument de grands changements spectaculaires pour enclencher quelque chose de nouveau (dans mes cours mais aussi dans mon établissement). Or, ce principe m’aide à percevoir que c’est parfois la solution la plus évidente, celle sans « paillettes » de la reconnaissance notamment, qui crée les plus beaux résultats. Si j’avais compris cela plus tôt, je me serais épargnée bien des tracas!
Voilà 3 possibilités d’accompagner le changement. Laquelle va-t’elle t’inspirer ?
Le changement n’est pas facile à accepter car il est soudain, imprévu, contrarie nos plans et met à mal nos habitudes. Accepter le changement et sa montagne russe émotionnelle, c’est apprendre la résilience, une qualité d’âme importante à apprendre alors que nous faisons face à bien d’autres crises (écologiques, sociales etc).
Cela demande du courage et de la volonté car la voie de l’authenticité issue de l’énergie féminine n’est pas la plus facile ni la plus commune aujourd’hui. Mais c’est une responsabilité à prendre si nous voulons devenir des tuteurs de résilience pour nos enfants et créer une société plus juste et plus humaine.
Notre espace de liberté au sein du cadre existant et protocolaire existe, il nous appartient de nous en saisir!
Enfin, cela peut être l’occasion pour toi de prendre ta juste place au sein du monde de l’éducation en t’éloignant de son centre pour agir en sa périphérie comme je le fais moi-même.
Je te laisse sur ce magnifique dessin de l’artiste Lucy Campbell citant Joseph Conrad « Nous devons avoir la volonté de laisser partir la vie que nous avions planifiée pour accueillir celle qui nous attend »

Si tu veux commencer à mettre en oeuvre concrètement l’une ou l’autre de ces écoles de pensée, rejoins un des Cercles de parole et de co-développement que j’organise depuis le début de ce mois d’avril!
On y apprend les valeurs d’égalité, de coopération, d’intuition (valeurs de l’énergie féminine accessibles à tous et toutes), on se les approprie et on les diffuse autour de nous.
Plus d’infos, ICI.
A bientôt,
Amandine